L’église Saint-Symphorien

 

L’église romane Saint-Symphorien fut bâtie au XIIè siècle sur le territoire de la commune de la Gripperie Saint-Symphorien en Charente Maritime. Excentrée du village sur les rives du Marais de Brouage elle bénéficie d’un environnement préservé et délicieusement champêtre. Au cours de l’été 2017,  Jean Michel Bénier a orné le mur doit d’une peinture de plus de quatorze mètres. Offerte à la commune dans le but d’attirer l’attention sur la nécessaire restauration du bâtiment menacé d‘effondrement en certaines de ses parties.

L’édifice est classé au titre des monuments historiques.

Jean Michel Bénier lors de l’inauguration de la fresque le 23 septembre 2017 :

« Peut-être faudrait-il que j’éclaircisse ce qu’a été ma démarche dans l’élaboration de cette peinture.

Au départ, l’idée était de rassembler les habitants du village dans leur église, mettre en avant l’idée de bien commun, de commune, de paroisse. Quelques-uns sont venus spontanément, d’autres ont douté, ne voyant guère d’intérêt à se voir portraiturer dans un bâtiment religieux.

Comment allait-il nous représenter ce peintre dont on raconte qu’il serait venu des provinces de l’est, de je ne sais quel territoire situé aux frontières de la république ?

Et combien cela allait-il coûter ? Qui allait payer ?

Bref, la nécessité s’est vite imposée d’élargir le cercle, de créer un voisinage avec des personnages venus du passé, du monde de la spiritualité, de l’histoire de l’art, car même si on l’oublie souvent une église comme celle-ci est aussi une œuvre d’art.

Il y a des personnages dont la présence est hautement symbolique comme Symphorien, le saint patron du village. Il en est de même pour L’abbesse Hildegard von Bingen. Médecin, voyante et guérisseuse, botaniste, écrivain et musicienne, elle a inventé une langue dont les arcanes n’étaient connus que d’elle-même et dont l’alphabet a été reproduit sur la peinture. On lui doit certains des plus beaux chants liturgiques de ce milieu du Moyen-Age.

Pourquoi Hildegarde de Bingen me direz-vous, ici sur les rivages atlantiques, dans les profondeurs du Marais de Brouage ? Parce qu’elle est, selon moi, une des figures les plus lumineuse de ce douzième siècle qui a vu la construction de cette église.

J’aime à imaginer les correspondances, me dire que cet appareillage de pierre et de chaux qui nous abrite aujourd’hui a été bâti par des compagnons qui ont respiré le même air, partagé les mêmes inquiétudes, regardé les mêmes paysages, vécu les mêmes phénomènes météorologiques que la Sainte Abbesse de Bingen. Peut-être même se sont-ils croisés, le compagnon qui a taillé les pierres du transept a peut-être participé à la réalisation du réfectoire de l’abbaye de Ruppersberg. Peut-être a-t-il vu l’abbesse en son jardin merveilleux, méditer sur les subtilités de la nature divine ?

J’ai aussi voulu établir des relations avec les grands maîtres de la peinture Européenne qu’ils soient du Nord ou du Sud, des Flandres ou de Vénétie, de Toscane ou d’Ombrie, de Rome ou d’Anvers. Tous ces artisans compagnons, tous ces voyageurs du grand art, (à l’époque ce n’était pas encore ce que l’on appelle aujourd’hui des artistes préoccupés pour l’essentiel par leur signature) Parcouraient l’Europe du Nord au Sud, d’église en basilique, de monastère en collégiale, de couvent en cathédrale.

J’ai avec humilité tenté d’entrer en résonance avec ces figures tutélaires, ce qui n’est pas une évidence lorsqu’on peint sur un mur, surtout dans une église. Car peindre dans une église c’est accéder au sacré, aux profondeurs du silence.  Le mouvement d’une chaise, le frottis de la brosse sur la surface à peindre, le grattement du crayon, un simple soupir, s’inscrivent en échos avec l’histoire, avec la mémoire des prières, des promesses, des regrets, des sermons, des chants minéralisés dans les murs de l’édifice. C’est ce que mystiques du Moyen âge appelaient parfois les « sons élevés ». Et on se dit que Giotto, Masaccio, Simone Martini, Lippi, Michel Ange, et tant d’autres dans leur anonymat, en marchant sur les chemins de la chrétienté, ont dû éprouver ces profondeurs, ces choses murmurées venues du très subtil, de l’indicible comme le dit Rainer Maria Rilke :

« Ici où m’entoure un immense pays sur lequel passent les vents venus de la mer, ici, je sens qu’à ces questions et à ces sentiments qui ont dans leur profondeur une vie propre, personne nulle part ne saurait apporter de réponse car même les meilleurs se fourvoient avec les mots lorsqu’ils font entendre du très subtil du presque indicible. »

 Alors mêler le passé et le présent permet de construire l’avenir.

Et s’il y a une espérance qui pourrait être la finalité de ce travail et celui à venir, c’est que cette église vive, qu’elle soit un lieu où les jeunes générations viennent trouver la paix, la fraternité, la sérénité, ce peut-être par les cérémonies, la liturgie religieuse, l’histoire sainte, ce peut-être aussi la musique, le théâtre, toutes ces choses qui sont un partage et permettent l’accès au divin. »

A propos du paysage…

Un paysage peint ne peut-il être qu’une vision, une interprétation de la vue d’un homme sur les choses en repos ? Un animal voit-il les prémices de l’aube, la couleur particulière du ciel  par-delà la lisière de la forêt, ?  Un paysage est-il aussi indifférent à l’humain que l’est une pierre de la planète Mars aux projets de la NASA?  Est-il le simple accomplissement de la somme de ses éléments, le voisinage plus ou moins organisé ou désorganisé des choses rassemblées dans un fragment d’immensité ?

Hors de l’esprit humain, de  l’intelligence  formatée de ce que voit l’oeil adulte, un paysage peut-il être un jaillissement du dehors, de l’ouvert offert a celui qui  accepte d’être  chose parmi les choses ?

 

« Oh ! et la nuit, la nuit quand le vent lourd de l’espace cosmique ronge notre regard. »

                                                           Rainer Maria Rilke

 

« Gateway to Skye »

Then the sun appears and scatters the mists encircling the cloud-capped peaks. In a moment the dull leaden sky is clear, and the clouds, rising and scattering, breaking and uniting, produce myriads of shapes and forms, and finally their insubstantial pageant fades leaving not a wrack behind.

Mary Carmichael (Gateway to Skye, 1946)

 

Devant la tombe de Rainer Maria Rilke, un jour d’automne

Me reviennent ces lignes alors que le bruit sourd du ressac de l’océan s’éloigne un peu plus chaque jour…

« C’est ainsi qu’on avait éprouvé l’être humain lorsqu’on l’avait peint dans toute sa grandeur; mais l’être humain était devenu flottant et incertain, et son image allait se brouillant au loin dans des métamorphoses, et c’est à peine si l’on pouvait encore le saisir. La nature était plus durable et plus grande, tout mouvement en elle était plus ample, et tout calme plus simple et solitaire. Il y avait en l’homme un désir d’utiliser les moyens sublimes de la nature pour parler de lui comme de quelque chose de tout aussi réel, et c’est ainsi que virent le jour les tableaux de paysage où rien ne se passe. On a peint des mers vides, des maisons blanches par jour de pluie, des chemins où personne ne marche, et des eaux d’une solitude indicible. De plus en plus, le pathétique disparaissait et, mieux on comprenait ce langage, plus on en usait avec simplicité. On se plongea dans le grand calme des choses, on ressentit comment leur existence se déroulait selon des lois, sans attente et sans impatience. »

Rainer Maria Rilke
« Du paysage »

Go to the North… a journey in Scotland

To be there, simply washing by the wind.

Etre là simplement, nettoyé par le vent.